Le Takfir : Rendre Mécréant un Musulman

Le recours arbitraire et infondé au takfir (l’excomminication)

L’excommunication (le takfir) est cette bête docile que les extrémistes ont enfourchée pour répandre, à la pointe de l’épée, leur idéologie viciée et vicieuse sur terre et parmi tous les êtres. Et puisque ce sujet occupe une place extrêmement importante, que ce soit dans les prescriptions d’Allah ou la Charia, il importe, à notre sens, de définir ce vocable d’un point de vue linguistique et religieux et de présenter les normes qui le régissent.

1. L’une des significations du takfir

Dans la langue arabe, renvoie à l’action de découvrir et d’envelopper quelque chose. Autrefois, les Arabes désignaient l’agriculteur par le terme « Kafir », car il sème les graines sur terre ou plutôt les « couvre » sous la terre. Allah, le Tout Puissant et le Très Majestueux, dit :

« Elle est en cela pareille à une pluie : la végétation qui en vient émerveille les cultivateurs » [Le fer, al-Hadid, verset 20].

De plus, le terme est utilisé dans le domaine militaire, puisque le verbe « Takaffara » signifie porter (se couvrir d’) une armure. De surcroît, ce terme est employé pour parler de la nuit, car elle « couvre » (rend invisibles) les individus. At-Takfir signifie aussi : « le fait de s’incliner et de baisser la tête comme en faisant révérence à son maître ».

2. Le « Takfir » signifie : « traiter un musulman de mécréant »

Le fait d’excommunier à tort et à travers les gens est un mal énorme et un grand danger qui ont fait subir à la nation de l’Islam beaucoup de malheurs, et dont les conséquences sont désastreuses. C’est pour cette raison que quiconque a le moindre degré de dévotion et de foi, et la moindre parcelle de science et de modération ne se permet jamais de juger la foi des autres. Car c’est là un sujet qui fait fendre les coeurs, troubler les Ames paisibles et tressaillir les hommes des pieds à la tête !

L’Imam ach-Chawkani dit à ce propos : « C’est là que l’on pleure à chaudes larmes, que l’on pleure à grands sanglots l’Islam et les Musulmans dont la majorité, par fanatisme religieux, s’accusent d’irréligion (d’apostasie, d’incroyance), sans aucun indice de la Sounna et du Coran, ni aucune indication d’Allah, ni aucune preuve (argument). Ces accusations réciproques sont au contraire le fruit du fanatisme religieux et l’oeuvre du Diable maudit qui a su semer la discorde au sein des Musulmans. Il leur a appris à exiger les uns des autres l’observation de contraintes qu’ils ne peuvent pas supporter.

Or, l’observation de ces obligations réciproques et intenables est pareille à la recherche de la poussière dans l’air ou à un mirage dans une plaine désertique. Qu’Allah protège les Musulmans contre ce drame écrasant qui est l’un des plus grands drames de la foi, et ce fléau dont ceux qui ont cru n’ont jamais connu de pareil. Les arguments qui prouvent que l’on doit défendre l’honneur du Musulman et le respecter révèlent, ainsi que le montre le contenu explicite des discours, qu’il ne faut jamais jeter le discrédit sur sa foi.

Que dire alors de ceux qui le font sortir de la religion de l’Islam et le considèrent comme incroyant ? En voilà un crime qui n’a pas de semblable et une témérité qui n’a pas pareille. Et cet impudent qui se permet d’excommunier son frère sait-il qu’il ne respecte pas les hadiths du Prophète Muhammad, paix et bénédiction d’Allah sur lui : " Le Musulman est le frère du Musulman ; il ne doit ni être inique envers lui, ni l’abandonner ”, " Injurier un Musulman est perversité ; le combattre est mécréance ”(3) et " Sachez donc que votre sang, vos biens et votre honneur sont sacrés” ». En raison des lourdes conséquences de l’excommunication, plusieurs versets répriment cette attitude honteuse. Allah, le Très Glorieux, dit :

« Voyez bien clair et ne dites pas à quiconque vous adresse le salut (de l'Islam) : ‘‘Tu n'es pas croyant’’, convoitant les biens de la vie d'ici-bas » [Les Femmes, an-Nissa, verset 94].

Dans les deux Sahih (les deux Authentiques), Ibn Omar, qu’Allah l’agrée ainsi que son père, rapporte que Le prophète (sallallahou 'alayhi wa sallam) a dit : « Quand un homme accuse un autre d’incroyance, l’un d’eux mérite bien cette accusation. Si l’accusateur dit vrai, l’incroyance de l’autre est donc attestée, sinon celui qui a entaché son coreligionnaire d’incrédulité la mérite bien ». Et dans le Sahih de Muslim, on trouve le hadith rapporté par Abu Dhar, qu’Allah l’agrée, qui a entendu le Prophète Muhammad(sallallahou 'alayhi wa sallam) dire : « Celui qui accuse faussement un homme d’incrédulité ou le qualifie d’être l’ennemi d’Allah, ceci ne manque de tourner contre lui ». Dans une version de Tabarani : « Traiter un croyant de mécréant est pareil au fait de le tuer ». C’est cette voie lumineuse et resplendissante qui a été suivie par les pieux prédécesseurs, en l’occurrence, les compagnons du Prophète, qu’Allah les agrée tous.

L’imam Ahmad, At-Tabarani et d’autres traditionnalistes ont rapporté le hadith d’Abu Sofiane : « Je demandai à Jaber - alors qu’il était à proximité de la Mecque – : "Aviez-vous un jour accusé l’un des gens de la Qibla d’être un associateur ? ”. Il répondit : "Qu’Allah nous en protège ! ” Et il en était effrayé. Un homme lui demanda alors : " Aviez-vous traité l’un d’eux d’« incroyant ” ? Il répondit : " Non ! ” ».

Les pieux prédécesseurs ont emprunté cette voie resplendissante. C’est ainsi qu’ils ont défini les principes, les lois et les règles qui régissent le jugement de l’excommunication. C’est également ainsi qu’ils ont présenté les situations où l’excommunication n’est pas permise et les critères qu’il faut prendre en considération avant de jeter l’anathème sur qui que ce soit, car il s’agit là d’une question grave qui demande beaucoup de précision. Et parmi les lois dont il faut tenir compte avant d’accuser qui que ce soit d’incroyance, on peut mentionner le fait que l’excommunication est un jugement législatif qui est l’apanage d’Allah, le Très Glorieux, et de Son Prophète, paix et bénédiction d’Allah sur lui.

L’érudit Ibn al-Qayyim dit : L’excommunication est l’apanage d’Allah et de Son Prophète. Elle n’est prouvée que par le Livre d’Allah et la Sounna de Son Prophète, Et n’est aucunement prouvée par ce que dit tel ou tel homme. Est le véritable incroyant celui que le Seigneur de l’univers et Son Serviteur ont excommunié.

D’autre part, l’imam At-Tahawi (imam érudit et juriste hanafite) dit : « Nous ne traitons pas de mécréante une personne pour un crime tant qu’elle ne le considère pas comme licite ». Ibn Abi al-Izz note également : « La question de savoir s’il faut ou non excommunier telle ou telle personne est une question qui a suscité une grande controverse marquée par la divergence des opinions, des attitudes partiales et des arguments antithétiques. Les gens ont là trois positions, dont deux sont extrémistes et erronées et dont la troisième est modérée et juste ». Il note encore : « C’est l’une des plus grandes injustices que de dire de telle ou telle personne particulière qu’Allah ne lui pardonnera jamais, qu’Il ne lui accordera pas Sa miséricorde et qu’Il l’éternisera en Enfer ».

Par ailleurs, l’imam an-Nawawi a dit : « Sache que dans la doctrine des gens de la Vérité, on n’accuse jamais d’incroyance l’un des gens de la Qibla (un Musulman) pour un péché qu’il a commis. De même, on n’accuse pas d’incroyance ceux qui suivent leur passion et ceux qui sont coupables d’innovations ou d’hérésie ». al-Qarafi a dit : « Qu’une question soit considérée comme relevant de la mécréance n’est pas une affaire de logique mais plutôt de législation ; si le législateur la reconnaît en tant que telle, alors elle l’est effectivement »

Cheikh al-Islam Ibn Taymiyyah a dit : « C’est pour cette raison-là que les gens de la science et de la Sounna ne taxent jamais de mécréance ceux qui les contredisent ou même les excommunient. C’est que l’excommunication est un jugement législatif [qui relève de la législation islamique], et l’homme n’est pas bien placé pour le faire. Il n’est donc pas permis à quiconque d’excommunier celui qui l’excommunie, de même qu’il ne lui est pas permis de mentir à quelqu’un qui lui a menti, ni d’avoir une relation adultère avec la femme de celui qui a eu une relation adultère avec la sienne. Car le mensonge et la fornication sont défendus par les lois d’Allah, le Très Haut. De même, l’excommunication est l’apanage d’Allah. On n’excommunie donc que celui qu’Allah et Son prophète ont excommunié ».

Le cheikh rénovateur Mouhammed Ben abd al-Waheb dit à propos de ce sujet : « Celui qui est avisé ne doit aucunement aborder cette question que s’il a la science requise et des preuves issues [du Livre, des lois] d’Allah. Et qu’il se garde d’excommunier tel ou tel parce qu’il trouve cela juste. De fait, excommunier un homme ou le considérer comme musulman est l’une des plus grandes questions de la religion. Et concernant ce sujet, c’est Satan qui a égaré la plupart des gens ».

Ceux qui ont l’impudence d’excommunier leurs frères musulmans, qui n’hésitent pas à duper les autres et à les accuser injustement (à obscurcir ce qui est évident), et qui n’ont pas atteint le moindre degré de la science et du mérite des pieux prédécesseurs dont nous avons rapporté les dires, ceux-là trouveraient-ils encore légitime l’excommunication des Musulmans ?

En outre, les excommunicateurs hardis ignorent-ils les conséquences graves de l’excommunication hAtive et infondée ? Ignorent-ils qu’elle donne le droit de tuer l’excommunié et de mettre la main sur son argent ? Ignorent-ils qu’elle a pour conséquence de lui interdire le droit à l’héritage et de révoquer son contrat de mariage ? Ignorent-ils qu’elle interdit aux Musulmans d’accomplir la prière funéraire en l’honneur de l’excommunié décédé et qu’elle leur défend de l’enterrer dans les cimetières des Musulmans ? Ignorent-ils enfin qu’elle implique que l’excommunié soit éternisé en Enfer ?

Parmi les principes qui régissent la question délicate de l’excommunication, on peut rappeler le fait que tout Musulman ne peut être excommunié à cause de ce qu’il dit, de ce qu’il fait et de ce qu’il croit [quand bien même cette parole, cette action et cette croyance seraient contraires à l’Islam] que lorsqu’il persiste dans son attitude après qu’on lui a donné la preuve de son égarement et qu’on a fait disparaître ce qui aurait pu l’induire en erreur. Il faut également distinguer l’acte de celui qui l’a commis, le général du particulier et faire correspondre les textes aux actes et aux personnes.

Dans Majmou al-fatawas (Le Recueil de fatwas), on peut lire : « Les textes du Coran et de la Sounna qui recèlent des avertissements ainsi que les livres des savants musulmans qui abordent le sujet de l’excommunication et de la perversité etc., ne peuvent être appliqués au cas particulier de tel ou tel individu que s’il répond à toutes les conditions qu’ils ont fixées et qu’il n’y a pas d’entraves qui interdisent leur application ; en cela, il n’y a pas de différence entre les fondements (al-Oussouls) et les questions secondaires (al-Fouroû) ».

Parmi les autres principes qu’il faut prendre en considération au sujet de l’excommunication, on peut encore rappeler l’existence de deux types d’incroyance : l’incroyance majeure qui fait sortir de l’Islam et qui concerne la foi et l’incroyance mineure qui ne fait pas sortir de l’Islam et qui concerne le comportement. Cette distinction n’a pas été bien saisie par ceux qui s’accusent les uns les autres d’incroyance, car ils n’ont pas suivi la bonne voie et ont négligé de prendre en considération les divers textes qui se rapportent à l’excommunication et qui, en apparence, se contredisent.

C’est pour cette raison que la majorité des savants – qu’il s’agisse des pieux prédécesseurs ou des savants contemporains – ont décidé de développer d’une façon détaillée la question de « al-Hakimiyyah » (la nécessité de juger d’après ce qu’Allah a fait descendre). C’est le cas du savant de la Nation de l’Islam et de l’exégète du Coran Abdullah Ibn Abbes, qu’Allah l’agrée ainsi que son père, qui dit : « Il ne s’agit pas de l’incroyance qui fait sortir de l’islam, mais il s’agit d’une incroyance mineure en deçà de l’incroyance majeure ou suprême ».

Les savants ont ainsi précieusement distingué quatre cas relatifs à la question d’« al Hakimiyyah » où ils ont pris en considération la totalité des textes. Ce développement révèle clairement que les sunnites n’excommunient pas les pécheurs bien que les Musulmans soient unanimes quant à la nécessité de juger d’après ce qu’Allah a fait descendre. En dépit de cette affirmation tranchante et évidente, nous ne devons aucunement, sous l’effet d’une fiévreuse ardeur et d’une vive émotion, tourner le dos aux règles établies par les pieux savants, aux principes fondamentaux des sunnites, à la pensée et au raisonnement des pieux prédécesseurs. Au-delà de la vérité qu’y a-t-il donc sinon l’égarement ?

Et parmi les principes dont il faut tenir compte au sujet de l’excommunication, on peut rappeler également que l’on n’a pas le droit d’excommunier qui que ce soit en raison des conséquences auxquelles peut donner son discours, et que l’on ne peut justifier l’excommunication par les agissements motivés par ce discours. Oh si seulement ces terroristes ouvaient saisir ce principe et guérir de leur ignorance et du péché de l’excommunication !

Al-Imam ach-Chatibi dit admirablement : « Selon la doctrine des chercheurs en jurisprudence islamique, l’incroyance (présumée) [qui peut résulter d’une action ou d’une parole, etc.,] n’est pas le signe d’une incroyance (en situation) [au moment où cette action est accomplie, ou cette parole est prononcée] ». al-Hafidh Ibn Hajar a dit : « On juge mécréant celui dont les propos expriment une mécréance catégorique ou celui qui revendique sa parole ; or, celui qui renonce à ses paroles et se repent ne doit pas être jugé mécréant même si ses paroles impliquent la mécréance.

Enfin, on ne traite de mécréant que celui que tous les Musulmans reconnaissent en tant que tel ou fournissent une preuve incontournable explicitant sa mécréance »(2). C’est l’avis soutenu par plusieurs illustres savants musulmans tels que Ibn Abd al-Barr(3), Ibn Battal, cheikh al-Islam Ibn Taymiyyah et Al imam Muhammad Ibn Abd al-Wahhab, lequel dit : « Nous n’excommunions que celui qui est unanimement excommunié par les savants. Un individu ne doit être excommunié que s’il répond à tous les critères qui le font sortir de l’Islam ». Ibn Taymiyyah dit au sujet des Jahmites : « Si je disais ce que vous dites, je serais incroyant, mais je ne vous excommunie pas car, pour moi, vous êtes des ignorants ».

Et Cheikh al-Islam d’ajouter : « Avant d’excommunier celui qui a mal interprété [le Coran ou la Sounna], il faut lui présenter les preuves irréfutables de sa mauvaise interprétation, lui montrer son erreur et lui présenter la vérité. Il faut encore que l’on sache les situations où l’excommunication n’est plus permise. Parmi lesquelles, on peut citer : l’ignorance, l’erreur et la contrainte. Allah, le Très Haut, dit :

« Quiconque a renié Allah après avoir cru... - sauf celui qui y a été contraint alors que son coeur demeure plein de la sérénité de la foi » [Les abeilles, an-Nahl, verset 106].

C’est pour cette raison-là que les compagnons se sont mis d’accord sur le fait de ne pas excommunier ceux qui se permettent de boire du vin sous prétexte qu’Allah, a dit dans le verset 93 de La table servie: " Ce n’est pas un pêché pour ceux qui ont la foi et font de bonnes oeuvres en ce qu’ils ont consommé [du vin et des gains des jeux de hasard avant leur prohibition] pourvu qu’ils soient pieux [en évitant les choses interdites après en avoir eu connaissance] et qu’ils croient [en acceptant leur prohibition] et qu’ils fassent de bonnes oeuvres; puis qui [continuent] d’être pieux et de croire et qui [demeurent] pieux et bienfaisants. Car Allah aime les bienfaisants” ».

Leur interprétation constitue l’une des équivocités qui les ont induits en erreur. Telles sont les preuves lumineuses (puisées dans le Coran, la Sounna et les propos des pieux prédécesseurs de la communauté musulmane) qui mettent au grand jour la vérité quant à cette question très grave du takfirisme qui a précipité les adeptes du rigorisme, de l’extrémisme et de la destruction dans les ténèbres de l’égarement.



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